Rose Pastel

Article du Libé

Ce matin, nous sommes allés au marché puis au café. Oliv est tombé sur un article dans le Libération qui me fait penser à mon expérience.

Bouger pour s’en sortir, petite géographie de la recherche d’emploi.

Certains ont beau jeu d’expliquer que la mobilité suffit à trouver un emploi et à sortir du chômage. Encore faut-il que le tissu économique de la France soit à peu près égal sur l’ensemble du territoire et permette de trouver partout la même qualité de service public, et des prix locatifs abordables.

Du boulot, il suffirait de traverser la rue pour en trouver ou tout simplement de se bouger, selon nos hommes politiques. Voilà des propositions ô combien géographiques ! Il n’y a qu’à amorcer un mouvement, un déplacement, un déménagement pour passer la situation de chômeur à celle de travailleur. « Traverser la rue », c’est en partie une image pour dire changer de métier, vers un emploi moins qualifié que ce à quoi on peut prétendre. Quand bien même il faudrait parcourir les rues et les traverser pour profiter des opportunités qu’offre la ville, notamment dans les métiers de services ou industriels qui demandent moins de qualification, cette proposition tombe à plat dans les villes qui ne sont pas des métropoles dynamiques. Seulement 42% de la population française vit dans un des 60 premiers pôles urbains français (Insee), les autres vivent dans des villes moyennes et petites, énormément dans le périurbain, caractérisé par la monofonctionnalité de l’habitat, et dans le milieu rural généralement marqué par une forte déprise économique et un retrait des services publics. Traverser la rue, pourquoi pas, mais alors, il est préférable d’habiter dans le XVe arrondissement pour arriver plus vite à Montparnasse, et ne pas être coincé dans un trou où il n’y a que des chemins.

Alors, il ne convient pas seulement de traverser à pied, mais de prendre sa voiture pour rejoindre la grande ville et son centre. Ne parlons même pas ici des émissions de CO2. Les ménages les plus modestes sont les moins motorisés : environ 43% des chômeurs et 46% des ménages du premier décile de niveau de vie, soit les plus pauvres des Français, qui n’ont pas de véhicule, contre seulement 19,1% pour l’ensemble des ménages. Les pauvres et les chômeurs ont donc beaucoup moins de capacité à se déplacer que les inclus, ceux qui ont déjà un travail.

Sur France Inter, le 1er octobre, un auditeur interpelle Christophe Castaner sur cette pression constante à l’égard des chômeurs pour qu’ils se bougent afin de trouver un emploi. Le dénommé Fabien dénonce : « Il y a une injonction assez généralisée dans la bouche des hommes politiques, comme dans l’ensemble de la population, sur la mobilité géographique; il faudrait changer de région carrément. » En réponse, Castaner feint de ne pas comprendre que la mobilité géographique non choisie peut être une violence pour les ménages, un arrachement. « Les choses ont changé aujourd’hui, dit le délégué général d’En marche, et on a beau être nostalgique, il faut faire face à ces changements. Il faut accepter les mobilités professionnelles. à, je ne suis pas d’accord avec Fabien. »

S’installer quelque part serait donc un anachronisme flagrant, une vieillerie, dont il faudrait se débarrasser au XXIe siècle. Après la précarité professionnelle, place à la précarité géographique ; qu’importe que Gaston Bachelard ait loué la vertu d’une maison enracinée, dans laquelle on demeure, durablement, paisiblement, qu’importe que pour Martin Heidegger « l’homme est autant qu’il habite » et qu’il doit être au monde, soit qu’il ait trouvé sa place.

Habiter, c’est avoir un chez-soi, une place dans laquelle on est bien, où on a construit son monde où l’on a développé des relations. Quitter par contrainte l’endroit où l’on réside est une forme de déracinement. Certes, la mobilité est glorifiée, une société qui bouge va de l’avant. La mobilité est très positive quand elle entre dans une stratégie professionnelle bien définie, notamment quand on est jeune, quand on suit une trajectoire amoureuse et conjugale, ou une expérience hédoniste (aller vivre au Canada, en Australie...).

Monsieur Castaner s’est-il lui même interrogé sur la vie de celui qui l’interpellait avec beaucoup d’émotion ? Bouger peut entraîner un déséquilibre familial important : quid des enfants qui sont scolarisés et qui ont leurs ami(e)s là où ils habitent ? Doit-on se séparer de sa compagne si celle-ci décide de rester là où elle a peut-être un travail ? Déménager dans une autre région induit de tirer en partie un trait sur le substrat de sa socialisation : la famille, les amis, les clubs sportifs ou autres, qui, on le sait, sont très structurants et inclusifs. La précarité n’est pas que financière, elle peut être aussi affective et sociale et commence généralement par la destruction de ces liens.

Passons encore sur ces menus détails de la mobilité à marche forcée. Qu’adviendra-t-il de notre futur travailleur qui consent à la mobilité vers une métropole dynamique ? Il sera inévitablement confronté à un marché du logement tendu — notion définie dans la loi Alur (accès au logement et à un urbanisme rénové, 2014) — où le logement est peu abordable que ce soit en location ou à la vente (à Paris : 25,40€/m2 en location et 9300€/m2 à la vente). Un nouvel arrivant n’aura donc que peu d’opportunités d’accéder au parc privé, même modeste, sans garantie de travail durable (ce qu’il n’aura pas dans un premier temps). Il pourra peut-être prétendre au parc non ordinaire dont certains "logements" sont accessibles sans document, mais contre de l’argent versé d’avance, dans le marché parallèle des marchands de sommeil. La double peine s’abattra alors sur lui : un logement plus cher que le marché et des conditions de vie précaire, dans des logements qui peuvent être de véritables taudis, comme l’a exposé à la presse la Fondation Abbé-Pierre, le 27 septembre.

Bouger pour s’en sortir n’est pas en soi un conseil mal à propos, mais encore faut-il qu’il soit mesuré, et que la mobilité ne soit pas vécue comme une contrainte et seul moyen d’accéder à un travail. Il est intéressant d’ailleurs de voir qu’aujourd’hui, les plus mobiles, ceux qui ont tout abandonné pour entre autres, trouver un travail, sont fustigés pour cette raison même. En effet, en France, mieux vaut être un expat hypermobile à travers le monde, qu’un migrant économique tout autant hypermobile à travers le monde.

Par Florent Hérouard.